Tôt ce jeudi 8 avril, certains viticulteurs bourguignons, tentaient encore de protéger leurs vignes du gel. Pour la troisième nuit consécutive, des gelées importantes ont touché les vignes. Les bougies, les jets d'eau et même parfois les hélicoptères n'ont pas suffit à éviter le gel des bourgeons.
Ce jeudi 8 avril, après 3 nuits de fortes gelées sur la Bourgogne, les vignerons ne sont pas optimistes. Lundi soir, c’est dans le Chablisien que le froid annoncé s’est d’abord manifesté. "A 18h30, il est tombé 1 ou 2 millimètres [d'eau]. On est passé dans une atmosphère humide et des températures glaciales dignes d’un mois de janvier. C’était le pire des scénarios" raconte Jean-François Bordet.
Propriétaire de 20 hectares en Chablis, il est connu comme une référence dans la lutte contre le froid. Il protège un peu moins de la moitié de son domaine avec différentes méthodes : les bougies mais surtout les câbles chauffants et l’aspersion d’eau. Plus couteuses, ces deux techniques sont souvent plus efficaces. Mais elles ont été sérieusement mises à l’épreuve.
Après la nuit de lundi à mardi, "on pensait que c'était ce qui pouvait nous arriver de pire" explique Jean-François Bordet. "Mais non. Mardi soir, vers 19 heures 45, on a eu la neige !" Sur certains secteurs, il tombe entre 2 et 5 centimètres. "La neige et le froid dans la foulée ; on est immédiatement passé à -1°C." De l'extérieur, le mariage du feu, de l'eau et des vignes est grandiose. Mais dans les vignes, c'est l'inquiétude.
"J'allais chauffer des bourgeons déjà détruits"
Dans les vignes, les dégâts sont immédiats, constate le viticulteur : "A 20h45, vous touchiez les bourgeons et les pointes vertes étaient en glaçons. Cela veut dire que c’était déjà mort." Dès la soirée, il est déjà trop tard . Habituellement, c'est plutôt en fin de nuit, voire à l'aube que les témpératures sont les plus froides. Les bougies qui permettent de réchauffer les vignes ne durent d'ailleurs que huit heures. "C’est une chose que je n’ai jamais vue de ma vie. J’ai 35 ans d’expérience. Pour la première fois j’ai pris la décision de ne pas mettre mes bougies en route. J'allais chauffer des choses qui étaient déjà détruites. »
Dans les parcelles où il a investi dans des systèmes d’aspersion d’eau ou de câbles chauffants, il estime les pertes en 15 et 50 %. «Mais pour ce qui n'est pas protégé, on est entre 50% et 100 % de pertes » craint Jean-François Bordet.
Ce constat, fait par les professionnels à Chablis, est quasiment identique à 150 kilomètres de là, à Rully (Saône-et-Loire) en Côte Chalonnaise. Ce jeudi matin, il a fait jusqu’à -6°C. Un record pour la saison. « La perte sera importante. On a perdu une belle partie de la récolte » déplore Felix Debavelaere, du Domaine des Rois Mages à Rully. Il a, lui aussi, utilisé des bougies pour tenter de protéger une partie de ses onze hectares. Mais selon lui, le froid a été si fort qu’elles n’ont pas suffi. "A priori oui, tout a été grillé, même des zones protégées par des éoliennes ou des bougies."
Les bougies et les hélicoptères inutiles
A chaque fois, ce sont les Chardonnay, les vins blancs qui sont les plus touchés car plus précoces. C’est donc dans le Chablisien et le Mâconnais que les dégâts s’annoncent les plus importants, mais aussi dans les prestigieuses appellations des Côtes de Beaune : Meursault, Puligny-Montrachet, Chassagne-Montrachet ou encore Saint-Aubain.
Dans les Grands Crus, on a déployé d'importants moyens pour combattre le froid. Mais cela a souvent été vain. "Malgré les bougies, on était tellement dans le négatif que l'on n'a pas pu réchauffer" reconnait Jean-Marc Pillot, viticulteur à Chassagne-Montrachet. "Que ce soit l'hélicoptère qui ne brassait que de l'air froid, les bougies qui n'arrivent pas à remonter de plus de deux degrés la température. Il y a une telle masse d'air froid qui était posée au sol. On ne pouvait pas lutter."
"Il y a eu des dégâts c’est certain. Quand on se promène, on voit déjà des feuilles qui font 7 ou 8 millimètres. Elles sont friables. Ce sont des bourgeons qui ne donneront rien"
Pénurie de bougies
Un constat partagé par plusieurs professionnels. D’autant que le stock de bougies n’a souvent pas permis de faire front durant trois nuits consécutives. "On a disposé des bougies jusqu’à hier [mercredi matin], mais on n’en avait plus hier soir" se désole François Labet, viticulteur et président du Bureau interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB). "Ce sont des phénomènes qui durent habituellement vingt-quatre heures. Mais après 3 nuits très froides. Le stock de bougies est à zéro. Malheureusement, ce qui a pu être sauvé durant les premières nuits a été endommagé ensuite."
Et cette pénurie de bougies inquiète alors qu’une nouvelle vague de froid est annoncée pour la semaine prochaine. "On n’avait pas moyen de trouver des bougies et on ne peut plus en racheter" regrette Jean-Marc Pillot à Chassagne-Montrachet (Côte d'Or). Dans ce vignoble prestigieux, il utilise des bougies bio supposées générer moins de toxicité. Mais la pandémie et les confinements compliquent les choses. "On ne peut pas être réapprovisionnés. Le malheur, c’est que la semaine prochaine, ils annoncent à nouveau des températures négatives."
L'espoir du contre-bourgeon
Pour les professionnels du vin, il reste cependant un espoir : les contre-bourgeons. Habituellement, ils sont très peu productifs et permettent surtout à la vigne de produire du bois. Mais cette année, après la destruction des premières pousses, ils pourraient permettre à la plante de produire quelques raisins. "On attend qu’il y ait des contre-bourgeons qui ressortent. Mais ils sont beaucoup moins fructifères que les bourgeons" explique François Labet le président du BIVB. "Si toutes les conditions sont réunies dans les prochaines semaines, il y a le deuxième bourgeon qui peut faire un peu de raisin" confirme Jean François Bordet. "On peut quand même avoir l’espoir d’une demi-récolte à Chablis."
Pour le savoir, il faudra attendre quelques semaines, le temps que la vigne relance son développement. Et même la fin de l'été, à condition que la météo ne fasse pas à nouveau des siennes avant les vendanges. Difficile aujourd’hui de dresser un bilan définitif mais le millésime 2021 ne sera en tout cas pas synonyme de gros volumes.
"C'est vraiment la nature qui est plus forte que tout le monde" concède Jean-Marc Pillot. "Les vignerons se sont défendus tant bien que mal. Mais la nature est parfois plus forte que nous" philosophe Felix Debavelaere à Rully. Cette année, il compte vivre sur les bouteilles des années précédentes qu'il a toujours en cave.
"Aujourd'hui, que l'on soit en biodynamie, en bio ou en conventionnel, on arrive à se protéger des maladies et des ravageurs. Mais on est tous impuissants face aux phénomènes naturels comme le froid ou la grêle" avoue François Labet. Il rappelle en souriant un vieux proverbe dédié au saint-patron des vignerons. «Saint-Vincent, protège-nous du gel, de la grêle et des gabelous ! " Les gabelous, les collecteurs d’impôts, sont peut-être moins fréquents dans les vignobles de Bourgogne. Mais quand il s'y invite, le froid, lui, reste tout puissant.